Interview SPIE : « Sans cadre réglementaire clair, les investisseurs hésitent »
Auto Trends : Où en est la Belgique dans l’électrification de sa mobilité par rapport à ses voisins ?
N.K. : La Belgique a connu une accélération impressionnante. En un an, le parc de véhicules électriques a progressé de plus de 55 %. C’est une vraie dynamique, mais il faut rester lucides : nous restons derrière les Pays-Bas et l’Allemagne, qui disposent d’infrastructures plus denses et mieux réparties. L’enjeu, désormais, est d’assurer une couverture homogène et de moderniser nos réseaux. Selon les projections, 65 % du parc belge pourrait être électrifié à l’horizon 2030, avec une baisse des émissions de CO₂ allant jusqu’à 60 % par rapport au thermique actuel.
Auto Trends : Ce boom des ventes ne crée-t-il pas un risque de décalage avec l’infrastructure de recharge ?
N.K. : Le risque existe, mais nous travaillons à le contenir. Aujourd’hui, la Belgique compte environ 100.000 points de recharge — toutes catégories confondues. SPIE en a installé plus de 10.200, et notre objectif est d’atteindre 20.000 d’ici 2030. Nous collaborons avec les régions et des opérateurs privés pour accélérer le déploiement et éviter que la demande ne dépasse trop fortement l’offre.
Auto Trends : On dit souvent que la Flandre est en avance. Est-ce que Bruxelles et la Wallonie rattrapent leur retard ?
N.K. : C’est vrai : trois quarts des bornes sont en Flandre. Cela tient notamment au grand nombre de voitures de société, qui stimule la demande. En Wallonie, la transition est plus lente, car le réseau est historiquement moins dense et le territoire plus rural. Mais les choses évoluent : Bruxelles prévoit 22.000 points d’ici 2035, et la Wallonie met en place des dispositifs de soutien. Nous y accompagnons déjà des projets innovants, comme la recharge par pantographe pour électrifier les bus.
Auto Trends : Vous installez aussi des bornes ultra-rapides allant jusqu’à 1.000 kW. À quoi serviront-elles vraiment ?
N.K. : Elles anticipent les usages futurs. Pour les voitures particulières, ce n’est pas encore utile, mais pour les poids lourds et les bus, c’est stratégique. Recharger un camion en vingt minutes change tout pour la logistique. SPIE est aujourd’hui le seul acteur à travailler sur ce type de projet en Belgique.
Auto Trends : Est-ce que ce n’est pas finalement dans le transport public et le fret que se jouera la vraie révolution CO₂ ?
N.K. : Absolument. Électrifier un bus ou un poids lourd, c’est un gain bien plus significatif qu’une seule voiture particulière. C’est un levier majeur pour la décarbonation, et c’est là que des solutions comme le pantographe prennent tout leur sens.
Auto Trends : Beaucoup craignent que le réseau belge ne soit pas dimensionné pour cette électrification massive. Quelles réponses techniques existent ?
N.K. : La solution passe par les smart grids. Il s’agit de gérer la demande intelligemment, de stocker localement, de recourir au délestage et de connecter les bornes aux énergies renouvelables. Nous développons déjà des projets de ce type, qui permettront d’éviter les goulets d’étranglement.
Auto Trends : Le cadre réglementaire vous semble-t-il clair et incitatif aujourd’hui ?
N.K. : Il s’améliore, mais reste fragmenté : chaque région a ses propres règles. Cette complexité freine la dynamique. Il faut harmoniser, donner une vision de long terme. Sans cela, les investisseurs hésitent.
Auto Trends : Les automobilistes se plaignent aussi de la jungle des cartes et abonnements de recharge. Y a-t-il un espoir de simplification ?
N.K. : Oui, la tendance va clairement vers l’interopérabilité. Plusieurs opérateurs permettent déjà d’utiliser une seule carte sur plusieurs réseaux. SPIE encourage cette simplification, même si une harmonisation complète prendra encore quelques années.
Auto Trends : Enfin, si l’on se projette à 2030, à quoi ressemblera la recharge en Belgique ?
N.K. : Elle sera largement intégrée et quasi invisible. Quelques minutes suffiront, et les bornes seront partout : dans l’espace public, les parkings, les entreprises. Elles seront connectées aux smart cities et à d’autres services énergétiques. C’est déjà dans cette direction que nous travaillons.


