L'humeur de Nicolas Morlet - Moteurs thermiques après 2035 : fausse bonne nouvelle !

il y a 11 mois | Nicolas Morlet

Cela ne vous aura pas échappé : l’Allemagne a gagné son bras de fer avec l’Europe pour autoriser la vente de moteurs thermiques au-delà de 2035. À condition que ceux-ci soient produits de manière neutre en carbone. Mais sans vouloir casser l’ambiance : doit-on vraiment s’en réjouir !?

Ne vous méprenez pas ! Je me réjouis autant que vous du rétropédalage européen, tant la solution du « tout électrique » paraissait intenable depuis le début - si ce n’est aux yeux de nos décideurs – notamment en termes d’accès à la prise pour les résidents urbains, de praticité pour les utilitaires amenés à tracter des charges lourdes, ou tout simplement... d’écologie pour produire et alimenter toutes ces batteries. Donc prolonger la vie des moteurs thermiques aujourd’hui très efficients, oui !

Par contre, le fait d’en limiter l’usage aux carburants synthétiques neutres en carbone (ces trois derniers mots ont leur importance !) risque fort de doucher les espoirs de nombre de conducteurs. Car l’accès à ces carburants risque fort d’être l’apanage de quelques fortunés, en raison de son prix de vente et des quantités qui seront disponibles. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Porsche et Ferrari soutenaient cette mesure, eux qui planchent déjà sur ce type de carburant depuis plusieurs années et dont les clients, a priori, ne rechigneront pas à payer pour continuer à faire vrombir leurs moteurs.

Pour comprendre mon scepticisme, il faut se pencher sur la fabrication de ces carburants. Ils sont produits à partir d’hydrogène combiné à du CO2 capté dans l’air ambiant, produisant un gaz qui est ensuite raffiné pour en extraire les biocarburants. Vu comme ça, la neutralité carbone semble aisée puisque le CO2 émis à l’usage est compensé par son absorption dans le processus de fabrication du carburant, produisant un cercle vertueux. Mais il faut pour cela que l’hydrogène soit également produit de manière verte, par électrolyse de l’eau – opération permettant de séparer l’oxygène et l’hydrogène -, et que l’électricité nécessaire à cette fin soit issue de sources renouvelables. Or aujourd’hui, l’hydrogène appelé « vert » représente 1,5 à 4% (selon les sources) de la production mondiale. Le reste étant majoritairement produit à partir… de gaz et de pétrole ! Vous commencez à voir venir le problème ?

De plus, tout ce processus est déjà extrêmement énergivore. La production d’un litre de carburant synthétique ne nécessiterait pas moins de 20 kWh d’électricité selon les calculs de certains spécialistes. Soit l’équivalent d’un quart d’une batterie de SUV électrique actuel ! Soit environ 80 à 100 km de roulage. Alors qu’il faudrait environ 8 litres d’eFuel pour parcourir la même distance. Un vrai problème, à l’heure où les détracteurs de la voiture électrique s’inquiètent de savoir si (ou comment) on pourra toutes les alimenter de manière durable.

Et même si l’on parvenait à rendre l’hydrogène vert généralisé, à quel prix et en quelle quantité serait vendu un tel carburant !? Zero Petroleum, la société d’un certain Paddy Lowe, commercialisait fin 2022 son e-fuel « responsable » à… 2.625 € le litre ! De son côté, Porsche lançait un projet pilote au Chili pour alimenter son championnat 911 GT3 Cup, avec l’objectif de produire 550 millions de litres en 2026. Une paille, comparé aux presque 1.300… milliards de litres consommés par le transport routier en Europe !

Vous l’aurez compris, il faudrait donc un incroyable développement industriel autour de cette technologie pour qu’elle soit une alternative viable et accessible à tous d’ici 12 ans ! À l’heure où plusieurs constructeurs ne croient déjà plus qu’à demi-mot à la pile à combustible à hydrogène pour l’automobile (lui prédisant un avenir plus logique dans le fret et les transports), difficile de prédire un avenir serein à ces e-fuels qui nécessitent encore plus d’énergie à produire.

Alors, au risque de gâcher la fête, permettez-moi de douter de la portée réelle de cette « victoire » allemande. À mon sens, l’hydrogène utilisé directement comme carburant comme le développe Toyota, ou encore les biocarburants - dont une demande d’exemption similaire aux e-fuels était soutenue par l’Italie – semblaient des pistes plus crédibles d’un point de vue industriel et environnemental. Mais ainsi en a décidé l’Europe. Et donc, puisse l’avenir me donner tort… 

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