Kurt Mollekens : «Les 24h sont devenues de la vitesse pure »
Ancien pilote lui-même jusqu'en F3000 devenu boss du team KTR créé par son regretté papa Prosper, double lauréat des 24H de Spa (la dernière année Tourisme sur Peugeot en 2000, puis en 2009 avec la Chevrolet Corvette GT1), Kurt Mollekens est une sacrée référence dans le sport automobile belge et même international.
Ami de quasi toujours de Vincent Vosse, celui que l'on surnomme gentiment « Kurtje » gère aujourd'hui les BMW M4 GT3 du team WRT, que ce soit en WEC ou en GT World Challenge.
A la veille du rendez-vous à domicile, il nous détaille une règlementation empêchant encore quasi toute stratégie lors des 24H de Spa. La différence ne devrait plus se faire dans les stands, mais sur la piste.
« Aujourd'hui, les 24h c'est tourner en rond durant 18h sans accroc ni pénalité, en gardant une auto le plus intacte possible, comme au départ, afin de pouvoir attaquer lors des six dernières heures, » explique un Mollekens connu pour son franc-parler. Un gars passionné pur et dur comme on les aime. « En général, derrière la dernière voiture de sécurité le dimanche il reste six ou sept voitures dans le même tour qui vont lutter pour la victoire. Même si vous êtes le dernier de la queue, mais que votre voiture est en meilleur état, vous avez le plus de chance de gagner. Car rien qu'un splitter ou un petit élément aéro abîmé peut vous faire perdre deux ou trois km/h en vitesse de pointe et la course. »
Et Kurt de nous expliquer, point par point, pourquoi les principaux avantages d'un team comme WRT, à savoir la rapidité d'exécution dans les stands et la stratégie, ne constituent pas réellement des atouts sur notre double tour d'horloge.
« Tout est cadenassé, toutes les libertés stratégiques sont exclues, » regrette-t-il. « Les 24h modernes, c'est de la vitesse pure »
Vingt-trois courses de sprint, une course éliminatoire où il faut rester le plus longtemps possible dans la danse sans commettre de faute.
Pitstops : 43 secondes d'arrêt toutes les heures
« Un relais normal peut faire une heure maximum, 65 minutes s'il y a eu au moins un Full Course Yellow durant le stint. On estime donc avec les neutralisations et le temps de la pitlane qu'il y aura 22 ravitaillements sur les 24H et donc 23 relais. Le temps de l'arrêt est déterminé par le temps de remplissage du carburant qui est lui aussi règlementé et de 43 secondes. Durant ce laps de temps, on a bien le temps de changer de pilote et de pneus à chaque fois. On ne peut donc plus faire la différence sur les pitstops comme en sprint par exemple. D'ailleurs nos supers gars super entrainés qui changent les roues plus vite que l'éclair ne sont même pas ici ce week-end. Il n'y a donc rien à gagner en théorie dans les stands mais plutôt à perdre si l'on ne respecte pas la vitesse limitée dans la longue pitlane comme cela nous est arrivé à Monza à deux reprises. »
Short et long Full Course Yellow
L'année dernière les 24h ont été neutralisées sous drapeaux jaunes ou voiture de sécurité durant plus de 9h suite à un gros orage durant la nuit, mais aussi de nombreux accidents. Cela risque d'être pire cette année. Car même si la météo s'annonce clémente, il y aura 75 voitures en piste, soit treize tout de même encore de plus qu'en 2024.
« Il y a deux types de neutralisations. Si un court FCY est annoncé, par exemple pour retirer un débris de la piste, la pitlane est fermée, les voitures roulent à 80 km/h et cela ne dure jamais plus de deux minutes. Il n'y a donc aucune stratégie. Par contre, en cas de long FCY, la pitlane est ouverte et il dure d'office deux tours afin de laisser la possibilité à tout le monde, y compris ceux qui n'ont qu'une tour de ravitaillement pour deux autos, de ravitailler. Deux tours cela fait déjà dix minutes à la suite desquelles il y aura d'office une voiture de sécurité pour rassembler tout le monde et permettre d'aller plus vite afin de remettre les pneus en température avant de relâcher la meute ce qui est parfois accidentogène, surtout la nuit quand vous retrouvez derrière des gentlemen drivers lents, perdus et aveuglés par les phares. Quand vous vous faites flasher durant la nuit, vous ne parvenez plus à situer la voiture derrière vous et donc à savoir si elle va vous passer par la gauche ou par la droite. Ensuite, il y a encore ce qu'on appelle le « pass around » réservé aux sous-catégories. Cela signifie que si la voiture de sécurité s'est intercalée entre le leader de votre catégorie et vous, vous pouvez redépasser la voiture de sécurité et rattraper la queue du peloton afin de ne pas perdre un tour. Mais la direction de course a bien précisé cette année que le pass around ne serait en vigueur qu'après 3h30 de drapeau vert. Autrement dit quasi jamais. De toute manière, cela ne concerne pas les pros candidats à la victoire. Si tu fais partie des favoris et que tu perds un tour, c'est fini, tu ne le rattrapes pas comme à Daytona. Il faut donc impérativement toujours rester dans le tour du leader.»
Arrêt technique de 5'
« Même sur la fiabilité ou la rapidité des mécaniciens pour changer les freins à mi-course par exemple, vous ne pouvez plus faire la différence. Là aussi c'est règlementé avec un arrêt technique obligatoire de cinq minutes entre l'entrée et la sortie de la pitlane à effectuer entre la 11e et la 22e heure. »
En général, vous essayer de l'effectuer le plus tard possible afin de ne pas risquer de vous retrouver à un tour et de ne pas pouvoir bénéficier d'une voiture de sécurité pour recoller au leader.
Eviter les pénalités et les touchettes
« C'est la consigne stricte donnée à nos pilotes candidats à la victoire. Il faut un peu de chance, mais surtout du talent et du sang froid pour aller vite dans le trafic sans toucher, sans s'énerver, sans faire de faute ni écoper de pénalité pour avoir poussé un concurrent ou non respect des limites de la piste. Car un « Drive Through » ici avec la longue pitlane vous coûte 45 secondes et sans doute la victoire. Aujourd'hui, pour avoir une chance de remporter les 24h il faut rouler avec sa tête. »
Non respect des limites de la piste : 5 jokers toutes les 6h
« Le non respect des limites de la piste est devenu très réglementé et contrôlé. Chaque voiture (et non pas pilote comme en WEC) a droit à cinq « jokers » toute les 6h. Cela signifie que si vous ne respectez pas les limites du circuit a six reprises dans un délai de six heures, vous serez pénalisé d'un coûteux Drive Through. »
Certains teams poussent le détail jusqu'à utiliser volontairement ces jokers durant les dernières minutes avant la remise à zéro. Exemple : Vous n'avez eu que trois « track limits » durant 5h55, votre ingénieur vous dira à 5h56 que lors de ce tour vous pouvez couper au Raidillon ou à Blanchimont ce qui vous fera gagner une à deux secondes sans frais.
Non respect des drapeaux bleus
Un véritable fléau constaté lors des 3h de Monza. Les pilotes attardés, en passe de se faire prendre un ou deux tours, ne respectent pas les drapeaux bleus. Et pour cause, tout le monde se bat pour rester dans le tour du leader. Avec des GT3 bien balancées et toutes capables de performances similaires à une demie seconde près, il est devenu très compliqué, même pour les meilleurs, de doubler. Ou alors il faut se jeter au freinage et prendre des risques d'accident.
« C'est un gros souci évoqué mardi avec le directeur de course lors du briefing des teams managers. François Verbist de chez Comtoyou s'est fort énervé avec cela, mais il a raison. Il faut absolument règlementer ce point. En WEC, un pilote attardé à qui l'on présente les drapeaux bleus à deux secteurs pour laisser passer. Sinon il est pénalisé. C'est la bonne solution même si c'est dur à gérer durant 24h avec 75 autos. »
Météo
« Apparemment, on annonce un beau week-end, sans pluie. C'est dommage car c'est justement dans ces conditions difficiles qu'il y a un peu de stratégie et de prises de risques sur les choix de pneus. C'est là aussi que le talent de certains pilotes peu faire la différence. La grosse chaleur par contre ne serait pas notre alliée. C'est surtout la nuit, à la fraîche, que les moteurs Biturbo des BMW respirent le mieux.»
Points après 6h et 12h
« Nous jouons le championnat avec la N°32 qui doit prendre un maximum de points après 6h et 12h. Cela signifie que nous pourrions changer les positions en faisant par exemple ravitailler plus tôt la N°31 ou la N°46 si elles étaient devant car elles sont juste là pour cette course. On pourrait penser que la N°31 sera notre lièvre car Dries et ses équipiers sont uniquement là dans l'optique de la victoire. Mais en fait c'est le contraire. Comme ils n'ont pas besoin de prendre des unités après 6h et 12h, ils auront encore moins de raison de s'exciter en début de course. »
15 candidats à la victoire
« Parmi les 21 voitures engagées en Pro, on estime que quinze peuvent gagner. Je pointerais quatre BMW, trois Porsche, trois Mercedes, deux Ferrari, deux Lamborghini et l'Aston tenante du titre. »
Photo WRT


