Thierry Neuville : « Il faut toujours suivre ses rêves... »
Après cinq titres de vice-champion du monde, Thierry a enfin décroché le graal. L'occasion pour nous de revenir sur plusieurs topics abordés lors de différentes interviews menées tout au long de sa déjà longue carrière. Merci au groupe V Union de l'ULB pour les réponses à plusieurs questions (interview complète de 2022 sur V Union ULB https://www.youtube.com/watch?v=PNc1NH9g_5E), celles concernant la relation avec Seb Ogier et le divorce avec Nicolas Gilsoul provenant d'un long entretien en début de saison avec le site Propulsion (à revoir sur youtube https://www.youtube.com/watch?v=lbu3c5cWm8g).
Thierry, comment a débuté ton aventure en rallye ?
«Quand j'étais gamin, le père de mon meilleur ami d'enfance et mon papa allaient voir les rallyes ensemble dans la région de Spa, Saint-Vith, le Condroz. Et de temps en temps, on était autorisés mon frère et moi à les accompagner. On allait aussi souvent à Francorchamps voir les 24H ou la F1 ou encore camper au Nürburgring pour la fête du double tour d'horloge. J'étais fasciné par le rallye. Dès mes quatre ou cinq ans, j'ai su que c'est cela que je voulais faire. C'était plus spectaculaire que le circuit, il y avait plus d'accidents, on changeait tout le temps de spéciale, je trouvais cela excitant. A l'époque, on suivait les aventures d'un jeune gars de notre région qui brillait en Mondial, un certain Bruno Thiry. Il y a eu aussi Freddy Loix et d'autres (ndlr : il ne cite pas le nom de François Duval, premier vainqueur d'une manche mondiale) qui ont brillé au plus haut niveau en WRC. Mes parents n'avaient pas d'argent. J'ai appris la glisse en quad, un peu en karting loisirs, puis on a investi 1000 ou 2000 euros dans une voiture d'autocross qu'on bricolait avec mon père. J'ai disputé mon premier rallye comme copilote avec un ami à l'East Belgian, un provincial près de chez moi. Cela s'est hélas vite terminé. On a ensuite acheté la Corsa et puis j'ai gagné le Ford RACB Rally Contest qui m'a réellement lancé. Sans le RACB National Team, je serais sans doute resté en provincial car on n'avait pas les moyens d'aller plus haut. J'avais mon diplôme de tourneur-fraiseur à l'époque. J'ai travaillé un an avant de me consacrer 100% au rallye. J'avais beaucoup de travail pour apprendre le Français, l'Anglais, perdre du poids car je pesais 87 kg. J'ai commencé à faire du sport, à contrôler ce que je mangeais, à arrêter de faire la fête avec mes amis tous les week-ends. »
Quand t'es tu dit la première fois que tu pouvais devenir champion du monde ?
« Mon rêve de gosse à la base était de devenir pilote de rallye, de rouler en WRC. Puis, une fois que je l'ai atteint, que je suis devenu professionnel en signant avec Citroën, Ford puis Hyundai, mon but a changé. Cela a d'abord été de signer ma première victoire puis bien sûr de devenir champion du monde. J'ai été sacré vice-champion avec Ford dès 2013 donc j'ai commencé à y croire très tôt. Finalement, cela aura mis plus de dix pour y arriver. »
Quelles ont été les personnes décisives dans ton ascension ?
« Oh il y en a eu beaucoup. Mon père bien sûr, mais aussi la fédération belge qui m'a toujours soutenu et propulsé grâce à ma victoire au volant Ford Fiesta. Ensuite mes managers et les gens qui ont cru en moi. Les différents patrons d'écuries, mais aussi mon équipier de 2013 Nasser Al Attiyah qui a financé une partie de ma saison. Je suis fier qu'un grand sportif comme lui ait cru en moi. Après bien sûr, il y a eu ma longue relation avec Hyundai qui est devenue comme une seconde famille. On a gagné 21 manches mondiales ensemble, le titre des constructeurs et maintenant celui des pilotes. »
Il y a aussi eu tes différents équipiers. D'Achim Maraite à Martijn Wydaeghe sacré aujourd'hui à tes côtés. Sans oublier Nicolas Gilsoul.
« Bien sûr, le rallye c'est un équipage et les copilotes font un très important travail de l'ombre. »
A l'intersaison 2020-2021, il y a eu le divorce avec Nicolas Gilsoul. Pourquoi en être arrivé-là ?
« C'est de l'histoire ancienne, je ne veux pas trop revenir là-dessus. C'est comme dans la vie, il y a des couples qui durent et d'autres qui se séparent. Il y a eu un peu de trahison. La confiance n'était plus là et j'ai dû changer. »
Tu partages beaucoup de temps avec ton équipier Martijn Wydaeghe sur une saison. C'est devenu un ami ?
« Non, au début de ma carrière, j'ai roulé avec des amis. Mais maintenant, quand cela devient tellement professionnel, je considère plutôt Martijn comme un collègue de travail. Chacun fait son boulot. On n'est pas là pour s'amuser. On ne part pas en vacances ensemble et on ne partage pas plus qu'un ou deux repas par an ensemble avec nos copines. »
« Aujourd'hui j'ai pris conscience qu'il y avait des choses bien plus importantes dans la vie que le rallye. »
Quel est le côté le plus négatif de ton métier de pilote ?
« La pression. Avec le temps, j'ai appris à la gérer au mieux, mais cela gâche un peu le plaisir. Vous représentez un constructeur, il y a beaucoup d'argent en jeu et les marques font de plus en plus attention. Il faut des retombées, des résultats pour justifier les budgets engagés. Il faut délivrer, ne pas commettre d'erreur. La seule chose qui compte à l'arrivée c'est le chrono. Bien sûr qu'à la base je fais le métier de mes rêves. Mais quand je pars sur une séance d'essais ou une course, je vais au boulot. Les reconnaissances, la préparation avant les rallyes demandent beaucoup d'efforts, de concentration. C'est usant à la longue. Parfois vous vous demandez si tout cela en vaut la peine. Avec l'âge, vous devenez plus réaliste. Le rallye a jusqu'ici toujours été toute ma vie. Mais aujourd'hui je prends conscience qu'il y a des choses bien plus importantes que le rallye. Comme ma famille par exemple.»
A part ce titre aujourd'hui bien sûr, quels sont les plus beaux moments de ta carrière avant bien sûr ce dimanche au Japon ?
«Difficile d'en choisir un. Ma victoire au Ford RACB Rally Contest a certainement été déterminante. Ensuite, mes premiers succès en IRC avec la Peugeot Kronos au Tour de Corse, à Sanremo et la Golden Stage à Chypre. Cela m'a ouvert les portes du WRC avec Citroën l'année suivante. La première victoire, totalement inattendue en Allemagne, reste bien sûr un grand et beau souvenir. Ensuite, je dirais le succès en Suède car j'étais catalogué à l'époque comme un pilote asphalte et j'ai réussi à battre les Nordiques sur leur terrain. Et puis ma première victoire au Monte-Carlo 2020, l'épreuve la plus légendaire du calendrier. »
« Je respecte Sébastien Ogier, mais je ne boirai jamais une bière avec lui »
Quel est le rallye WRC que tu apprécies le moins ?
« Sans doute l'Estonie. C'est très rapide. Il y a un peu trop de prise de risques à mon goût. »
Pourquoi préfères tu les épreuves sur asphalte ?
« Car c'est plus intense, les écarts sont plus serrés et il est plus difficile de faire la différence. Ce n'est pas cassant et la position de départ a moins d'importance. »
Tu as joué le titre durant plusieurs années face à Sébastien Ogier qui n'est pas vraiment ton meilleur ami...
« C'est vrai que cela a été tendu durant quelques saisons. Aujourd'hui on se respecte, mais on n'ira jamais boire une bière ensemble. Il est très doué pour essayer de me déstabiliser mentalement. Mais cela faire partie du jeu. »
Il pourra toujours dire que tu ne l'as jamais battu à la régulière sur l'ensemble d'une saison vu que cette année il était intermittent et n'a pas pris le départ de trois épreuves.
« A la régulière, cela aurait logiquement dû être le cas en 2018. Je me souviendrai toujours de ce Rallye de Sardaigne où, dans l'énervement au point-stop, son équipier Julien Ingrassia a oublié de récupérer son carnet de pointage. Son ex-équipier Ott Tanak qui roulait pour une écurie concurrente est arrivé trois minutes plus tard, l'a récupéré et lui a rapporté tandis qu'il rebroussait chemin ce qui est interdit. On a porté réclamation et il aurait dû être disqualifié. Mais il s'en est tiré avec une amende. J'étais furieux. J'avais huit dixièmes de retard sur lui au départ de la dernière spéciale. J'ai tout donné pour le battre de sept dixièmes. C'était la seule fois de ma carrière où je me suis senti fier à l'arrivée d'un rallye. Quelques mois plus tard, une crevaison en Australie m'a coûté le titre. Cela m'a laissé un goût amer car l'histoire aurait été bien différente si mon rival avait été sanctionné comme il aurait dû l'être en Italie. »
« Je me sens plus en sécurité à 200 km sur un chemin de terre qu'à 120 sur l'autoroute avec une petite auto. »
Penses-tu parfois au danger, aux risques encourus en rallye ?
« Non, jamais. Sauf quand je négocie mon salaire, je n'oublie pas de le faire savoir à mon employeur (rire). En réalité, je me sens plus en sécurité à 200 km/h sur la terre qu'à 120 sur autoroute dans une petite voiture. On est tout de même bien protégé. Je sais que le risque existe. Mais c'est plus une question de fatalité. Vous pouvez vous sortir indemne d'un crash à très haute vitesse et par contre vous pouvez mourir suite à une sortie à 50 km/h en tests comme notre ami Craig Breen qui n'a vraiment pas eu de chance. C'est le destin. Toute ma famille, ma femme sont bien conscients si cela doit arriver que je préfère mourir en spéciale en faisant le métier que j'aime qu'écrasé par un camion dans la rue. Mais honnêtement je n'ai pas le sentiment de jouer avec ma vie. J'ai plus une impression de contrôle. »
Aujourd'hui, serait-il encore possible pour un jeune Belge de vivre le même rêve que toi, de suivre la même trajectoire ?
« Je suis et soutiens toujours les volants du RACB. Mais honnêtement, c'est devenu beaucoup plus difficile pour un talent d'éclore aujourd'hui qu'il y a dix ou quinze ans. A mon époque, on avait deux, trois, quatre saisons pour prouver. Désormais, les jeunes ont maximum quatre, cinq ou six rallyes. Sinon on passe à un autre. Et comme l'expérience compte beaucoup en rallye c'est compliqué. Les chances de gravir les échelons sont devenues très faibles. Mais elles restent cependant plus grandes qu'en circuit où le matériel, l'équipe et donc l'argent comptent plus que le pilote. En rallye, un jeune doué peu encore profiter de sa position de départ, des conditions difficiles ou changeantes, d'une plus grande prise de risques pour se faire remarquer. Tandis que sur piste, si vous n'êtes pas dans une des meilleures écuries, une des meilleurs autos, vous pouvez oublier même si vous vous appelez Lewis Hamilton. »
« Mon conseil pour un jeune qui voudrait suivre ma voie ? Ne pas écouter ni lire les critiques ! »
Quel conseil donnerais-tu à un jeune qui veut néanmoins faire comme toi et devenir champion du monde des rallyes dans dix ans ?
« Il faut toujours suivre son rêve, sa conviction. Cela va demander beaucoup de sacrifices, mais quand tu as le sentiment que tu peux y arriver, que tu as le talent, cela vaut la peine. Et souvent la persévérance paie car beaucoup abandonnent en chemin. Moi j'ai toujours continué à y croire, à me battre, à ne pas écouter les critiques. J'ai eu l'avantage d'être Germanophone. Je ne regardais que la télévision allemande qui ne parlait pas du tout de moi. Je n'écoutais pas la TV belge, je ne lisais pas les journaux. Cela a été une de mes grandes forces, cela m'a enlevé pas mal de pression de ne pas savoir ce que l'on écrivait ou disait sur moi, que ce soit en bien ou en mal. »
Montage Hyundai Motorsport

