Fabian Lurquin avant le Dakar : « Loeb a beaucoup plus de pression que nous »
A l’initiative de Dacia, nous avons eu l’occasion de rencontrer Fabian Lurquin dans un sympathique bivouac baptisé les Kbanes à La Hulpe. A quelques jours de son 15ème départ au Dakar, le 3 janvier, nous nous sommes mis à table avec le sympathique liégeois.
Fabian, comment êtes-vous passé en cours de saison du baquet du nonuple champion du monde WRC à celui de la référence absolue en raid ? Y-a-t-il eu des tensions dans un des deux équipages expliquant ce « switch » ?
« Pas vraiment non. Mais on a fait un très mauvais début de saison avec des tonneaux au Dakar puis dans la foulée à Abu Dhabi. On s’est demandé avec Seb ce qu’il se passait. Pourquoi ce manque de réussite. Dacia aussi car cela a tout de même fait deux châssis. Il y a eu un peu de confusion. Dès lors on s’est demandé si cela ne serait pas dans l’intérêt de tout le monde d’échanger les équipiers. Sans aucune agressivité, juste pour redynamiser les couples, essayer autre chose. Cela s’est fait totalement à l’amiable.»
Quelle différence avez-vous noté entre vos deux pilotes 2025 ?
« Ce sont deux grands champions. Mais Seb a beaucoup plus de pression car il n’a pas encore gagné le Dakar. Leurs racines sont différentes. Loeb est issu du WRC, le plus grand de l’histoire. Nasser est son équivalent en raid. Il a remporté cinq Dakar, quatre ou cinq titres et est plus décontracté. A l’époque avec Mathieu Baumel, ils faisaient trente courses dans le désert par année. Il possède une expérience incommensurable et cela se ressent dans l’auto. Il ne se pose pas de questions. Il est calme et me laisse faire mon boulot. »
Quel sera votre point faible sur ce Dakar ?
« La fiabilité de notre Dacia Sandrider préparé par Prodrive est éprouvée. Mais nous n’avons pas encore deux saisons derrière nous. Ce sera seulement notre cinquième course ensemble… »
« Copilote en rallye ou en raid, ce sont deux métiers différents »
Nasser a récemment disputé la finale du WRC en Arabie Saoudite au volant d’une Puma WRC1. Auriez-vous bien aimé être à ses côtés au départ ?
« Non car je n’ai quasi aucune expérience de copilote sur les rallyes traditionnels. Ce n’est pas le même métier. Je dirais même que cela n’a rien à voir. En WRC, le but est d’aller le plus vite possible sur des spéciales que tu connais avec des notes que tu as prises en reconnaissances. En raid, tu dois aller le plus rapidement possible d’un point A à un point B sur un parcours secret avec des notes identiques pour tout le monde que tu découvres au fur et à mesure et que tu dois interpréter très rapidement. Il y a nettement plus d’improvisation en raid. Il faut gérer l’imprévu. Et un vrai rôle de navigation, un peu comme sur les liaisons en WRC. Sauf que nous c’est le corps de notre métier. Si en rallye, le résultat dépend à 90% du pilote, sur un Dakar c’est 50/50. Le pilote est le diamant au-dessus de la pyramide et je suis l’écrin. Si l’on fait une comparaison avec une équipe de football, Nasser est le centre avant et moi je suis le gardien de but. »
Quelle est la partie la plus dure de votre métier ?
« Rester concentré durant 500 km, soit parfois entre cinq ou six heures dans le baquet. Il y a beaucoup de stress à gérer et quand tu t’égares il faut garder ton calme pour retomber plus vite sur tes pattes ou retourner sur tes pas. Si on s’énerve, on perd vite plus de temps et les risques de commettre une erreur sont plus grandes tant pour l’équipier que le pilote. »
Pourriez-vous partir sur une course comme le Dakar avec un pilote avec lequel vous ne vous entendez pas ?
« Difficilement car vous êtes vite mis à nu. Les couches de ta personnalité ressortent très vite et cela créerait assez vite des tensions.»
Que pensez-vous du parcours 2026 du Dakar ?
« L’une des grandes qualités de l’organisateur David Castera est de sans cesse vouloir améliorer le rallye sans perdre les points déjà positifs. Le rééquilibrage des difficultés avec deux semaines équivalentes va ôter le surplus de stratégie. On ne va plus être obligé d’aller se cacher derrière un rocher pour ne pas partir devant lors de l’étape marathon comme on l’avait fait avec Seb. On va pouvoir envoyer du gaz du début à la fin. »
Dacia part cette année favori avec quatre voitures. Qui sont vos principaux adversaires ?
« Avec la nouvelle règlementation, les véhicules sont très proches en termes de performances. Il n’y a plus une marque qui domine comme souvent par le passé. Aujourd’hui, ce n’est plus une aventure comme lors des débuts en Afrique. Ce n’est plus de l’endurance, de la survie. Si tu perds une heure, c’est mort. Il y a un intérêt grandissant pour la discipline et la promotion des jeunes fait que les candidats à la victoire se multiplient. J’en compte une dizaine cette année avec en plus de nous Toyota bien sûr avec leur nouvelle voiture, Ford et pourquoi pas Century. Je pointerai aussi parmi les outsiders la Mini de Guillaume de Mevius. Il a du matériel inférieur certes, mais c’est un très bon pilote et cela reste un bon outsider. »
Il aura toujours à ses côtés Mathieu Baumel qui revient à la compétition après le dramatique accident de la circulation à la suite duquel il a dû être amputé d’une jambe. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
« Le respect. Chapeau à lui. Cela confirme ce que je pensais déjà de lui. C’est un grand passionné. »
Un Dakar se prépare combien de temps à l’avance ?
« Je suis pilote officiel et j’ai cinq courses seulement par saison, mais je me prépare toute l’année, physiquement et mentalement. On a toujours le Dakar en tête. J’ai terminé deux fois deuxième et une fois troisième. J’en suis à ma quinzième participation et j’aimerais vraiment bien le gagner un jour. »
Maintenant Seb Loeb a un équipier qui a déjà remporté le Dakar…
« Oui, cela va lui mettre encore plus de pression (il rigole). »
Quant au champion du monde et vainqueur du dernier Dakar, Lucas Moraes, il a désormais rejoint votre équipe Dacia. Cela signifie qu’il y a désormais trois candidats au succès au sein de la marque franco-roumaine?
« Disons qu’on préfère l’avoir avec nous que contre nous. Il connaît très peu l’auto car il n’ a accompli que 200 km de tests. Pour gagner le Dakar, un constructeur doit multiplier le nombre de voitures et donc de chances. Franchement, il ne nous fait pas peur. »
Faut-il être un bon mécanicien quand on est copilote sur le Dakar ?
« Pour tout ce qui se répare en moins d’une demie heure, je dirais oui. On est d’ailleurs entraîné pour cela. On peut changer une roue en 1’22, un triangle en sept minutes ou un tyran en quatre. Au-delà, vous avez des porteurs d’eau, des gars qui peuvent vous donner éventuellement des pièces voire un coup de mains. »
Expliquez-nous un peu le système sentinelle dont sont équipés tous les concurrents ?
« Il s’agit d’un système un peu comparable au DRS. Quand tu reviens dans la poussière à moins de 300m du concurrent devant toi, tu peux l’actionner et cela lui envoie un signal. Si tu l’envoies trois fois en moins de quarante-cinq secondes, il doit obligatoirement se mettre sur le côté. La première pénalité est de trois minutes, la seconde de sept puis de dix. Honnêtement, tout le monde le respecte. De notre côté, au premier son du système, on fait comme si on n’avait pas entendu. Puis au deuxième on se gare. Quand tu entends le système klaxonner, tu as toujours tendance à accélérer la cadence pour éviter bien sûr de te faire doubler et de te retrouver à ton tour dans la poussière. Il y a donc de la stratégie. S’il n’y a pas trop de poussière, on aura tendance à ne pas l’actionner directement dans l’espoir de prendre son adversaire par surprise. Car on sait que si l’on klaxonne son premier réflexe sera de prendre plus de risques et d’accélérer. »
« Les couches c’est très efficace… »
Dans une épreuve où cela se joue plus en secondes et minutes qu’en heure et où il faut beaucoup boire pour éviter la déshydratation souvent par de fortes chaleurs, comment faites-vous quand vous ressentez un besoin pressant ?
« Les couches, c’est très efficace… »
Le départ du Dakar est programmé le 3 janvier. A partir de quand serez-vous en Arabie Saoudite ?
« Je pars le 30 décembre. »
Vous fêterez donc le réveillon loin de vos proches…
« Fêter est un grand mot. On sera au lit bien avant minuit. On se dira juste bonne année le lendemain. »
Au fait, le manque de sommeil est-il un problème sur le Dakar ?
« Non, pas pour les leaders qui rentrent assez tôt au bivouac. En moyenne, on dort sept à huit heures par nuit. Et je vous promets qu’on ne met pas longtemps à s’endormir même si on est bercé par le bruit des groupes électrogènes. Moi je mets mes bouchons et oups je suis dans les bras de Morphée. »
Avez-vous déjà songé à ce que vous feriez quand votre carrière de copilote sera terminée ?
« Non. Mais je trouve que cela manque de bons stratèges dans le sport auto en général, tout comme de bons navigateurs. Créer une école ou une académie pour former les jeunes pourrait constituer une piste intéressante. »
Photo Dacia


