Toto Wolff : « Il n'y a rien que j'aime plus que la F1. Si ce n'est suivre mon plus jeune fils en karting... »
C'est devenu une bonne tradition belge. A l'invitation de Bastien et de Mercedes Belgique, nous avons chaque année l'occasion de rencontrer Toto Wolff, le charismatique patron de Mercedes Formula One Team. Et même si son écurie n'a pas été trop à la fête ces vendredi et samedi en Ardenne, il est toujours agréable de discuter avec l'Autrichien.
Toto, 2025 n'est sans doute pas encore la saison espérée pour Mercedes. Où en êtes vous sur la préparation de la monoplace 2026 avec la nouvelle règlementation ?
« Comme pas mal de teams je pense, on est rapidement passé sur l'auto de 2026. Il n'y a plus de développement sur le package 2025. La 2ème ou la 3ème place des constructeurs n'a pas tellement d'importance. Et une équipe motorisée par Mercedes a déjà trop d'avance. Pour être devant en F1, il faut le pilote, le châssis et le moteur. S'il vous manque un des trois, vous ne gagnez pas. Est-ce qu'on sera directement devant avec la nouvelle règlementation comme en 2014 ? C'est ce qu'il se dit. On y a travaille en tout cas, mais il est prématuré d'affirmer quoi que ce soit. »
Vous aviez déclaré voici quelques semaines que vous connaîtriez les noms de vos pilotes 2026 à Spa. Est-ce le cas ?
« Non pas à 100%. Mais je peux vous dire qu'il y a 95% de chances pour que l'on garde George Russel et Andrea-Kimi Antonelli. »
Est-ce qu'une marque aussi prestigieuse que Mercedes n'a pas besoin d'une star comme ambassadeur ?
« En F1 aujourd'hui, je ne vois qu'une star : Lewis Hamilton. Mais il nous a quittés. Je n'ai pas été surpris. Après douze années d'affilée en vacances d'été avec votre meilleur ami, n'auriez-vous pas vous aussi l'envie d'essayer autre chose ? A un moment vous en avez marre. C'est humain. Mais attention, avec les réseaux sociaux, la série F1 Drive to Survive, le film de Brad Pitt, le public de la F1 est en train de changer. Saviez-vous par exemple qu'on estime aujourd'hui que le public de la F1 est 42% féminin ? Les règles de la communication aussi changent. Regardez la folie autour de l'histoire de la rencontre entre Max et moi en Sardaigne. C'est la première fois que je vois des montages avec des photos fake pour des news concernant la F1. C'est devenu people. J'aimerais ajouter quelque chose : les résultats influent fortement sur votre statut. Max est connu car il est quadruple champion du monde. George et Andrea-Kimi ont des personnalités particulières. S'ils se mettent à gagner régulièrement, ils deviendront vite des stars. Quand j'ai décidé de donner une chance à Antonelli, il pensait déjà qu'il était une super star. Je lui ai remis les pieds sur terre et je lui ai dit qu'il n'était encore que 1000 fois rien du tout. Ce n'est pas avec une pole pour le sprint et un podium que tu deviens une légende. C'est en gagnant des championnats. »
La direction de Mercedes accepte les années sans, les passes un peu plus difficiles ?
« Le board reconnaît que la visibilité de la marque à travers la F1 est immense. En F1, c'est souvent une question de cycle lié souvent à la technologie. J'ai expliqué aux dirigeants que je ressentais encore dix fois plus qu'eux la pression des résultats. Personne n'a plus envie de gagner que moi. »
Votre épouse Susie a roulé en F1 en essais libres et oeuvre beaucoup aujourd'hui pour la promotion des femmes en sport auto. Voyez-vous une fille en F1 endéans les cinq ans ?
« Je suis certainement subjectif sur le sujet (rire). Susie a eu l'occasion de participer à deux séances d'essais libres officielles avec Williams et à Silverstone elle ne pointait qu'à deux dixièmes de Felipe Massa. Elle s'entraînait physiquement comme les mecs et avait à l'époque un tour de cou de 38 cm pour supporter les forces G. Le problème pour avoir une femme en F1 n'est pas du tout physique. C'est une question de talent. Quand Susie participé au championnat du monde de karting, elle a terminé 15ème sur 160. Mais elle était la seule fille. Aujourd'hui, grâce au travail de la FIA, les efforts pour mettre les demoiselles en avant grâce notamment à la Formula Académie, sur un peloton de 100 pilotes en Mini ou Junior n karting il y a quinze jeunes filles. Le but est de susciter des vocations pour élargir la base. Je ne dis pas qu'il n'y a pas assez de talent dans les participantes actuelles à la Formula Académie. Nous sommes content du travail de Doriane Pin et nous pourrions lui offrir un test avec une ancienne F1. Mais les réelles chances de voir une femme émerger augmenteront le jour où 25% des pelotons en kart seront composés de filles. Car si vous faites monter aujourd'hui une fille en F1 juste pour l'image et le marketing et qu'elle se qualifie 20ème à chaque GP, ce serait dommageable pour la cause des femmes en sport auto. »
Revenons un peu à l'année prochaine avec cette nouvelle règlementation qui dit redistribution des cartes.
« Oui, la F1 2026 sera fort différente de celle actuelle avec une grande partie d'électrification. Je pense que les équipes disposant d'un de nos Power Units seront performantes. Mais Honda avec Aston Martin et Adrian Newey seront peut-être forts aussi. Et il ne faut jamais sous-estimer Ferrari. J'ai oublié quelqu'un ? Ah oui Red Bull. Pour eux cela s'annonce plus difficile... »
Mais pourquoi Max Verstappen resterait-il là alors ?
« (rire) Je me pose la question tous les jours ! Peut-être pour une question de contrat dont il n'arrive pas à sortir. Mais peut-être aussi pour une question morale. Max est quelqu'un de loyal et reconnaissant. Il a décroché quatre titres et toutes ses victoires avec Red Bull. Partir dès que cela va mal lui poserait un problème de conscience. »
A 53 ans, vous voyez vous encore rester longtemps à la tête de l'écurie F1 ?
« Depuis le départ de Christian Horner, je suis le dernier des dinosaures (il se marre). La question qu'il faut se poser est la suivante : est-ce que je crois que je contribue toujours au succès de l'équipe ou est-ce que je pense que quelqu'un d'autre pourrait faire mieux ? En tant qu'actionnaire de l'écurie, je ne pourrais que me virer moi-même. Pendant un an durant le Covid, je me suis posé la question sur ce que je voulais faire du reste de ma vie. Continuer en F1 ou retourner dans la finance et les investissements. Et j'ai choisi de rester en GP car j'aime ce que je fais. »
Vous êtes un homme heureux ?
«A 100%. J'aime mon job, j'ai une famille que j'aime, une femme extraordinaire, je suis en bonne santé et je suis riche. Je considère que l'on devient adulte à 50 ans. Là je sais que j'ai passé la moitié de mon existence, j'ai fini de jouer et d'expérimenter les choses de la vie. Il me reste peut-être encore vingt belles années, vingt beaux étés ce qui fait encore 1800 belles journées à vivre. Si tout va bien car mon père est mort à 39 ans. J'ai un peu été influencé par la philosophie de Niki Lauda qui préférait se payer un nouvel avion pour se faire plaisir plutôt que de le laisser en héritage à ses enfants. Je veux faire un maximum ce qui me plait. Et rien ne me plait autant qu'un week-end de GP. Ou peut-être si, un week-end avec le motorhome à Lonato avec Susie pour suivre les courses de notre fils Jack en mini kart. On partage de bons moments en famille. Et si cela se développe, peut-être que dans quelques années, je mettrai un pied de côté de la F1 pour suivre un max la carrière de mon fiston. Le seul problème à mon âge est que je dois commencer à surveiller mon cholestérol, ma pression sanguine. Je dois faire du cardio plutôt que de la musculature, ce que je déteste. »


